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«Pour un bon recrutement, il est essentiel que les RH accordent une attention particulière au parcours de vie.»
Les nouvelles technologies sont-elles plutôt favorables ou défavorables au travail centré sur l’humain?
Selon moi, tout dépend de la manière dont on utilise une technologie. C’est cela qui détermine sa qualité sociale. Nous devons donc attendre de voir dans quelle mesure l’intelligence artificielle (IA) se développe pour les personnes travaillant dans le domaine de la création et de la connaissance et si elle facilitera le travail centré sur l’humain. L’IA orientera probablement de plus en plus les tâches vers l’attribution de sens aux connaissances.
Qu’entendez-vous par «attribution de sens aux connaissances»?
Au fur et à mesure que l’IA se développe, il apparaît que nous ne sommes plus les meilleurs dans de nombreux domaines que nous considérons comme relevant de la «souveraineté humaine», notamment les compétences cognitives. Il y aura une période de transition pendant laquelle nous collaborerons avec l’IA. Mais à l’avenir, nous devrons céder de nombreux domaines. Se pose alors la question de savoir comment cela affectera l’image que nous avons de nous-mêmes, si l’IA écrit par exemple un assez bon scénario pour la télévision ou intervient également dans tous les autres domaines créatifs. C’est pourquoi nous pourrions tout d’abord connaître une crise, vivre cette situation comme un affront. Mais dans un deuxième temps, «l’humain» sera redéfini: que savons-nous mieux faire que l’IA? Et ce sera surtout dans le domaine de l’attribution de sens. Les êtres humains ont plus de capital culturel et sont donc également plus à même de donner du sens et de restituer des expériences vécues. Pour en revenir au script pour la télévision, il y aura toujours un être humain qui jugera le script. Plus il sera question de ressenti physique et émotionnel, plus le rôle de l’humain aura de poids. Et je me demande si, à l’avenir, nous nous définirons aussi à travers cela.
«Au fur et à mesure que l’IA se développe, il apparaît que nous ne sommes plus les meilleurs dans de nombreux domaines que nous considérons comme relevant de la «souveraineté humaine», notamment les compétences cognitives.»
Comment voyez-vous l’évolution vers le New Work?
Pour aller vers un travail centré sur l’humain, il faudra élargir conceptuellement la notion de travail, en séparant la rémunération du travail. Le salaire est parfois instrumentalisé en tant que système d’incitation pour motiver les personnes à effectuer certaines tâches. Toutefois, le fait que la rémunération puisse, dans certaines circonstances, exercer une influence limitée sur le sens d’une activité n’est guère pris en compte. Le sens donné au travail est indispensable pour un travail centré sur l’humain; cet aspect devrait donc être au centre du New Work.
Le Skills-Based-Hiring, c’est-à-dire le recrutement en fonction des compétences plutôt que de la formation et de l’expérience, constitue-t-il une solution à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée ou une évolution vers un travail centré sur l’humain?
Les deux à la fois: le Skills-Based-Hiring met l’accent sur les compétences déjà acquises et définit ainsi la valeur des candidats et des candidates en fonction de leur passé. Une évolution durable vers un travail centré sur l’humain demanderait davantage de s’intéresser au potentiel et aux motivations des personnes et prendrait en compte les compétences acquises dans leur passé, qui serait vu comme un espace d’expérience. En considérant les personnes dans une perspective d’avenir et les investissements qui y sont liés, il est possible de lutter contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
En quoi les mesures centrées sur la personne, comme les tests de personnalité lors du recrutement, sont-elles problématiques?
Dès lors que les tests de personnalité sont réalisés avec diligence, j’y vois plus de potentiel que de problèmes. Le plus gros défi dans les processus de recrutement est d’éviter de reproduire des mécanismes de discrimination structurels. Selon la technologie utilisée, l’IA peut renforcer ou contrecarrer ce risque. Cela vaut également pour les tests de personnalité. Au final, pour un bon recrutement, il est essentiel que les RH accordent une attention particulière au parcours de vie.
Le New Work est-il réservé aux cols blancs*?
Non. Le New Work qui privilégie le travail centré sur l’humain et l’autodétermination est très prometteur pour les cols bleus. Dans le domaine de la santé et des soins, le modèle néerlandais Buurtzorg a par exemple démontré que les structures auto-organisées avec des hiérarchies plus plates permettent de mieux exploiter le savoir empirique des employé-e-s. L’une des raisons pour lesquelles on parle moins du New Work dans le cadre du travail des cols bleus réside dans le manque de reconnaissance du savoir empirique et dans le fait que ce dernier est considéré comme inférieur au savoir standardisé. Dans un monde du travail de plus en plus dynamique, il serait logique de reconnaître davantage ce savoir non standardisable.
«La mise en œuvre de structures de New Work dans le travail des cols bleus est également prometteuse dans la mesure où elle permet de ramener le débat à l’essentiel: s’éloigner des thèmes liés au télétravail et se concentrer davantage sur la collaboration humaine.»
*Cols blancs vs cols bleus: Le terme «cols blancs» désigne les employé-e-s qui occupent des postes dans le domaine de la connaissance et qui travaillent dans un bureau. «Cols bleus» se réfère à des métiers manuels et pratiques.
New Work: grand thème de l’année 2023
En 2023, en collaboration avec de nombreux expertes et experts, la plateforme s’interroge sur les possibilités offertes par le New Work dans la société actuelle en identifiant les éventuels domaines d’intervention nécessaires sur le plan politique et économique. Cette interview est un extrait de notre échange avec Milan Glatzer. Un rapport complet des résultats ainsi que des recommandations politiques concrètes seront publiés d'ici l'hiver 2023.
Portrait
Milan Glatzer est collaborateur scientifique à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) qui est placé sous la responsabilité de la Confédération. Après avoir travaillé comme aide-soudeur en Australie, il a obtenu un Bachelor en arts libéraux et sciences à Fribourg-en-Brisgau, avec une spécialisation en études culturelles. Au cours des études de sociologie qu’il a ensuite suivies à Francfort, Milan Glatzer a rédigé une thèse sur les processus de transformation du sujet chez les premiers diplômé-e-s universitaires d’une famille. Dans son activité de collaborateur scientifique, il se focalise sur les pratiques d’apprentissage informelles des artisans.