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«La législation de l'UE garantit que la population de tous les Etats membres bénéficie d’un traitement équitable. C'est quelquechose d'extraordinaire.»

Depuis la rupture des négociations sur l’accord-cadre, l’avenir des relations entre la Suisse et l’UE demeure incertain. Parmi les points litigieux figurent les mesures d’accompagnement concernant la protection des salaires. Joost Korte, Directeur Général de la Direction emploi, affaires sociales et inclusion de la Commission européenne explique les conditions de travail au sein de l’UE.

La Suisse a un marché du travail libéral: salaires, temps de travail, protection de la santé, égalité et conciliation entre vie professionnelle et privée sont peu réglementés. Qu’en est-il dans l’UE? Quelles sont les réglementations en vigueur dans ces domaines?

La politique de l’UE des dernières décennies vise des taux d’emploi élevés ainsi qu’une protection sociale solide, une amélioration des conditions de vie et de travail et la garantie d’une cohésion sociale.

Dans le domaine du droit du travail, l’UE complète les initiatives législatives des Etats membres avec la fixation de normes minimales. Les différents Etats membres peuvent prévoir une protection accrue s’ils le souhaitent (nous les encourageons continuellement dans ce sens), mais ils doivent tous respecter les normes minimales convenues.

A titre d’exemple, une directive de l’UE a défini l’été dernier de nouvelles normes pour des salaires minimaux. Bien sûr, cette directive n’inclut pas un salaire minimal pour tous les travailleurs de l’UE, mais des règles sur la manière dont les salaires minimaux légaux sont définis, mis à jour et imposés à l’échelle nationale. De surcroît, la directive exige des Etats membres qu’ils définissent des plans d’intervention pour augmenter la convention tarifaire si la part en vigueur est inférieure à 80%. Dans le domaine de l’égalité sur le marché du travail et de la protection de la santé, l’UE applique également plusieurs directives qui fixent les normes minimales, donnant lieu à un point de départ identique pour les salariés.

Qu’en est-il de la protection salariale: comment les Etats de l’UE ayant un niveau de salaires supérieur veillent-ils à éviter une situation de dumping salarial?  

La convergence salariale est à l’œuvre en particulier entre les Etats membres de l’Europe orientale et de l’Europe occidentale. Entre 2010 et 2021, les salaires ont augmenté d’au moins 6% en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne et en Roumanie, et d’environ 4% en République tchèque et en Slovaquie. Pendant ce temps, les salaires augmentaient de seulement 2% en moyenne dans l’UE des 27.

L’UE a mis en place divers mécanismes pour soutenir ce processus. A cet égard, la politique de cohésion joue un rôle important. Elle contribue à renforcer la cohésion économique et sociale en Europe en éliminant les inégalités relatives au niveau de développement des régions. La priorité porte sur des domaines clés qui aident l’UE à se positionner face aux défis du XXIe siècle et à demeurer compétitive sur l’échiquier mondial. Entre 2014 et 2020, environ 32,5% du budget de l’UE, soit quelque 351,8 milliards d’euros, ont été attribués à divers instruments de financement contribuant à soutenir la politique de cohésion. La facilité pour la reprise et la résilience notamment soutient les mesures d’encouragement de la productivité et la compétitivité, ainsi que des mesures d’amélioration des conditions-cadre pour les entreprises. Le but consiste à rendre les économies et les sociétés européennes plus durables et plus résistantes, et à mieux les préparer face aux défis et aux opportunités liés à la mutation environnementale et numérique.

Par ailleurs, l’UE a proposé différentes initiatives sur la préservation de conditions concurrentielles égales au sein du marché intérieur et sur la promotion d’une concurrence équitable sur la base de normes sociales élevées, d’innovation et de productivité au lieu de bas niveaux de salaires. Ainsi, l’Autorité européenne du travail (AET) a été établie pour garantir que les directives de l’UE concernant la mobilité de la main-d’œuvre et la coordination des systèmes de sécurité sociale s’appliquent de manière équitable et efficace. En outre, la directive relative au détachement de salariés a fait l’objet d’une révision pour garantir l’application de la législation du travail de l’Etat membre d’accueil dans le cas d’un détachement sur le long terme. De même, la directive récemment adoptée concernant les salaires minimaux appropriés favorisera la convergence vers le haut en renforçant l’adéquation du salaire minimal légal.

Comment la réglementation de l’UE en matière de travail et de salaire est-elle mise en œuvre dans les Etats membres? Y a-t-il des différences à cet égard? Qui contrôle la mise en œuvre et le non-respect donne-t-il lieu à des sanctions?

Dès qu’une directive de l’UE est adoptée, les Etats membres sont tenus de l’appliquer à la législation nationale. La Commission se tient régulièrement à disposition pour les accompagner.

Ensuite, la mise en œuvre des directives est assurée par les autorités nationales, notamment les autorités de surveillance et les tribunaux. Si des citoyens de l’UE veulent faire valoir leur droit, ils doivent dans un premier temps s’adresser aux autorités et aux tribunaux de leur pays. Face à un différend déposé à un tribunal national quant au mode d’interprétation et d’application d’une directive de l’UE, le tribunal où l’affaire est en instance peut déposer ladite affaire à la Cour de justice de l’Union européenne. La décision de la Cour de justice de l’UE concernant les questions soumises est ainsi valable à l’échelle de l’UE. Les interprétations de la Cour de justice de l’UE revêtent une grande importance et contribuent à maintenir à jour les directives de l’UE, même dans un contexte de changements sur le marché du travail.

En tant que «gardienne des contrats», la Commission de l’UE a pour mission de surveiller que les Etats membres mettent en œuvre la législation de l’UE en vigueur en bonne et due forme et qu’ils l’appliquent correctement.

Si la Commission est d’avis que ce n’est pas le cas, elle peut, à l’issue d’un rappel à l’ordre en vain, engager une procédure de violation du contrat auprès de la Cour de justice de l’UE. Si cette dernière parvient à la même conclusion, elle impose des sanctions à l’encontre de l’Etat membre concerné, sanctions maintenues jusqu’à la mise en œuvre correcte de la législation de l’UE.

Pensez-vous qu’il est impératif que tous les participants au marché intérieur de l’UE appliquent la législation de l’UE exactement de la même manière?

La mise en œuvre des directives de l’UE ne doit pas se dérouler à la lettre, mais plutôt par analogie. En ce qui concerne le droit du travail européen, cela signifie que tous les Etats membres respectent les normes minimales convenues qui sont ancrées dans l’UE. Il est ainsi garanti que la population de tous les Etats membres bénéficie d’un traitement équitable. Il s’agit de quelquechose d'extraordinaire, qui encourage non seulement la cohésion, mais aussi la mobilité au sein de l’UE. Qui plus est, cela garantit également des conditions concurrentielles uniformes dans le marché intérieur européen.

De plus, les exemples positifs sont nombreux, avec les Etats membres allant au-delà des normes minimales et offrant ainsi à leurs citoyens et citoyennes une protection du travail encore meilleure dans leur pays. Globalement, la Commission encourage toujours les Etats membres à agir dans ce sens, car notre objectif suprême consiste à améliorer les conditions de vie et de travail des personnes vivant en Europe.

Dans votre domaine, quel type de nouveautés et de programmes trouve-t-on pour l’amélioration des conditions-cadre en faveur des salariés?

La directive de l’UE sur les salaires minimaux a été adoptée l’été dernier et attend maintenant son entrée en vigueur dans la législation nationale (délai: octobre 2024).

En août 2022, le délai de mise en œuvre de la directive sur des conditions de travail transparentes et prévisibles est arrivé à terme. Les salariés peuvent prétendre à plus de visibilité concernant leurs conditions de travail (notamment le cahier des charges et le temps de travail). Ils doivent désormais aussi recevoir des informations plus détaillées sur les aspects essentiels de la relation de travail, le lieu de travail et la rémunération.

Août a également vu le terme du délai de mise en œuvre de la directive sur une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Elle inclut des normes minimales concernant les congés paternité, parental et pour assistance médicale d’un proche. De plus, elle fixe des droits supplémentaires, comme la prétention de règlementations de travail flexibles. Cela permet aux personnes de mieux concilier carrière professionnelle et vie familiale.

Toutefois, les conditions de travail dans l’UE ne dépendent pas seulement des directives. Ainsi, la stratégie en matière de soins et de prise en charge, présentée par la Commission en septembre 2022, veut aussi instaurer des conditions de travail équitables et une formation professionnelle pour le personnel soignant. Elle comprend des recommandations sur les négociations tarifaires et le dialogue social, le respect de normes drastiques en matière de sécurité et de protection de la santé et sur des programmes de formation continue pour le personnel soignant et d’encadrement.

De plus, certaines directives de l’UE proposées par la Commission sont encore en attente d’un accord et d’une approbation.

La proposition d’une directive (décembre 2021) visant l’amélioration des conditions pour le travail via une plateforme est très intéressante, également au sens de la digitalisation et de l'évolution du marché du travail. En soumettant cette directive, la Commission veut s’assurer que les personnes qui travaillent via des plateformes numériques puissent faire valoir leurs droits de salariés et les prestations sociales. Cette directive régulerait également la protection relative à l’usage du management algorithmique (systèmes automatisés qui assistent/remplacent les fonctions de direction au travail).

En mars 2021, la Commission a aussi proposé une directive sur la transparence salariale. Elle vise à défendre l’égalité de salaire femmes/hommes au sein de l’UE, à poste identique, et devrait interdire aux employeurs de demander aux candidats leur dernier salaire. En outre, les salariés auraient le droit de demander une indemnité pour discrimination salariale.

La directive de l’UE sur les postes de direction, déjà proposée par la Commission en 2012, amorce sa dernière ligne droite, en attente d’une adoption officielle des législateurs européens. Elle énonce que les entreprises de plus de 250 salariés doivent, d’ici mi-2026, attribuer à des femmes, au conseil d’administration, au moins 40% des sièges non exécutifs ou 33% de la totalité des sièges.

Portrait

Joost Korte a été nommé Directeur Général de la direction  Emploi, affaires sociales et inclusion de la Commission européenne le 16 mars 2018. Auparavant, le Néerlandais était Directeur général adjoint du Commerce à la Commission. Il a également à son actif plusieurs années au Secrétariat général en tant que Directeur des relations avec le Conseil des ministres, et de l’expérience dans les cabinets de Sir Leon Brittan, Chris Pattern et Danuta Hübner. Il a ainsi pu se familiariser avec les procédures de décision de l’UE. Le juriste diplômé a rejoint la Commission en 1991, après avoir passé huit ans à l’Université d’Utrecht et d’Edimbourg, où il a mené des travaux scientifiques sur le droit européen.

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